Fuite
Le seul amour qui soit vraiment humain, c’est un
amour imaginaire, c’est celui après lequel on cours sa vie durant, qui trouve
généralement son origine dans l’être aimé, mais qui n’en aura bientôt plus ni
la taille, ni la forme palpable, ni la voix, pour devenir une véritable
création une image sans réalité. Alors, il ne faut surtout pas essayer de faire
coïncider cette image avec l’être qui lui a donné naissance, qui lui n’est
qu’un pauvre homme ou qu’une pauvre femme, qui a fort à faire avec son
inconscient. C’est avec cet amour-là qu’il faut se gratifier, avec ce que l’on
croit être et ce qui n’est pas, avec le désir et non avec la connaissance. Il
faut se fermer les yeux, fuir le réel. Recréer le monde des dieux, de la poésie
et de l’art, et ne jamais utiliser la clef du placard où Barbe-Bleue enfermait
les cadavres de ses femmes. Car dans la prairie qui verdoie, et sur la route
qui poudroie, on ne verra jamais rien venir.
(Henri Laborit - Eloge de la fuite)